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Stanley Kubrick », par John Baxter
aux éditions Seuil. John
Baxter est un journaliste australien,
bibliophile. Ses biographies de
Spielberg, Fellini et Buñuel font
aujourd'hui autorité. |
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Le
Nouvel Observateur. - Ecrire une
biographie de Kubrick, c'est difficile
?
John Baxter. - Non, pas du tout,
c'est ce qui m'a surpris. Au début,
je me suis dit que ça allait être
une mission impossible, vu la
réputation qu'il avait. Mais tous
les gens qui l'ont connu ont consenti
à m'en parler. Tout le monde a
une petite histoire sur Kubrick.
N. O. - Quel est la clé du personnage
Kubrick ?
J.
Baxter. - Voici un homme dont
l'enfance n'a pas été très heureuse.
Il est issu d'une bourgeoisie
moyenne, et il ne s'est jamais
adapté réellement. En classe,
il avait des notes très moyennes
dans toutes les matières où il
fallait collaborer avec d'autres
élèves. En revanche, dans les
matières abstraites, comme la
chimie, il était plus à l'aise.
Son père lui a appris à jouer
aux échecs et à faire des photos.
Les échecs, c'est un jeu purement
intellectuel, et la photo vous
autorise à être un voyeur... Ce
sont deux choses qui mettent de
la distance entre vous et les
gens. Le monde, pour Kubrick,
est devenu une sorte de champ
d'expériences scientifiques. Il
ne voyait pas des individus, mais
des types, des groupes, des exemples.
Il était très intéressé par deux
types de personnages : le soldat
et le criminel... Il a eu une
occasion de sortir de cette tour
d'ivoire, lors de son deuxième
mariage, qui a été très passionnel.
S'il était resté avec sa deuxième
femme, il serait devenu quelqu'un
d'autre.
N. O. - Il a épousé plus tard
Christiane Harlan, dont on a dit
qu'elle était la fille de Veit
Harlan, le réalisateur du « Juif
Süss ».
J. Baxter. - Il est très difficile
d'établir qui elle est. Je pense
qu'elle est bien la fille de Veit
Harlan, et non la fille de son
frère.
N.
O. -- Il a aussi toujours été
fasciné par les nazis.
J.
Baxter. - Exactement ! Andrew
Birkin raconte que, lorsque Kubrick
l'a envoyé en Afrique du Sud pour
faire des photos pour « 2001 »,
il est revenu avec des images
de propagande nazie, et Kubrick
a voulu les garder. Il n'a pas
eu une réaction d'horreur, mais
de fascination. Il suffit de voir
« Orange mécanique » pour comprendre
ça. Kubrick voulait faire un film
sur Albert Speer.
N.
O. - Vous avez lu le livre de
Frederic Raphael ?
J.
Baxter. - Oui, l'auteur donne
un portrait assez exact de Stanley
Kubrick. Il prend le contre-pied
de la mythologie du génie fou,
ce qui est bien. Car Kubrick était
bizarre, timide et solitaire,
mais en aucun cas ce n'était le
cinglé qu'on a voulu faire de
lui. Même quand il faisait cinquante
prises d'une scène, c'était une
démarche logique. C'est comme
ça qu'on faisait du cinéma, à
l'époque où il a débuté.. .
N.
O. -- Mais il était très retiré.
J.
Baxter. - C'est venu lentement.
Il s'est d'abord installé à la
campagne, sans se couper du monde.
Puis, quand il a tourné « Barry
Lyndon », il a été menacé par
l'IRA. Ses enfants devaient être
enlevés... On lui téléphonait
pour le menacer... Il a donc établi
des barrières strictes avec l'extérieur.
N.
O. - Etait-il un juif qui se détestait
?
J. Baxter. - Je ne pense pas que
sa judéité le tracassait autant
qu'elle tracasse Frederic Raphael.
Il était Stanley Kubrick, et c'est
tout. Il n'observait pas les fêtes
juives, il n'a pas été enterré
selon le rite juif, il n'a jamais
été marié religieusement...
N.
O. - Pourquoi a-t-il fait si peu
de films ?
J.
Baxter. - Sa méthode, c'était
: laissons les autres traiter
un certain sujet, et, après, faisons
mieux. Il voulait être le meilleur.
N. O. - Le besoin d'être le meilleur
de la classe ?
J. Baxter. - Exactement. Il tirait
plus de plaisir de cette situation
que de faire du cinéma. C'est
pour ça que ses projets mettaient
des années à être réalisés. «
Eyes Wide Shut » a été annoncé
en 1968, après « 2001 », par Warner
Bros.
N.
O. -- Il se voyait comme un réalisateur
solitaire...
J.
Baxter. - Oui, un franc-tireur.
Un guérillero. En fait, il aimait
bien prendre la pose du rebelle,
mais il ne l'était pas vraiment.
N.
O. - Quel est le coeur de son
oeuvre ?
J.
Baxter. - Tous les films de Kubrick
se déroulent dans des systèmes
qui s'empêtrent, des machines
qui se dérèglent. Les plans de
« Barry Lyndon » échouent, la
fusée de « 2001 » aboutit on ne
sait où, l'ordinateur se dérègle...
N.
O. - Voulait-il aborder tous les
genres, et dresser sa comédie
humaine ?
J.
Baxter. - Je ne crois pas que
c'était si planifié. Il ne voulait
pas faire « Eyes Wide Shut » d'abord,
mais son film sur l'intelligence
artificielle, « A. I. »... Il
a presque fait « Wartime Lies
»... Il changeait d'idée. Ainsi,
quand « Easy Rider » est sorti,
il s'est dit : « Tiens, je vais
toucher les jeunes », et il a
tourné « Orange mécanique ». Il
n'avait pas une stratégie d'ensemble.
N.
O. - Qu'est-ce qui fait sa grandeur
?
J.
Baxter. - Comme John Ford, comme
Orson Welles, il a créé un monde
dans lequel nous nous sommes projetés.
Comme il ne donnait pas d'interviews,
qu'il ne rencontrait pas beaucoup
de gens, il nous a laissé la latitude
de comprendre ce monde comme nous
l'entendions. Il laisse une oeuvre
réfléchie, intelligente, belle.
Il créait par distillation. Il
ne filmait que l'essence. Ses
films sont ainsi le concentré
de son art.
Propos recueillis par FRANÇOIS
FORESTIER du Nouvel Observateur
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Animateur
de la revue « Positif » et maître
de conférences à Paris-VII, Michel
Ciment est l'auteur d'une monographie
sur kubrick qui fait date. |
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Entretien
Le Nouvel Observateur. Quand
avez-vous rencontré Stanley
Kubrick pour la première fois
?
Michel Ciment. Mon premier
contact avec Stanley Kubrick,
c'était il y a trente ans,
au moment de la sortie de
« 2001, l'Odyssée de l'espace
». J'avais rédigé, sur son
oeuvre, une étude générale
dans « Positif » qu'il avait
fait traduire en français.
J'ai d'abord eu un rendez-vous
téléphonique avec lui. Je
l'interrogeais sur ses films,
il me posait des questions
sur Napoléon il voulait
connaître le point de vue
des historiens français. Le
problème avec Kubrick a toujours
été de ne pas se laisser interviewer
par lui, ne pas se laisser
pomper... Mais notre vraie
rencontre a eu lieu avant
la sortie d'« Orange mécanique
», dans un restaurant près
du studio. On a parlé pendant
deux heures et puis on s'est
revus pour chaque film. De
temps en temps il m'appelait
pour savoir ce que j'avais
vu à Cannes, à Berlin ou à
Venise, il me demandait si
j'étais allé au Japon ou en
Russie. C'était un faux ermite
: il vivait au contact des
autres grâce au téléphone,
au fax, aux vidéocassettes.
Il se tenait au courant de
tout. Il suivait même la Bourse
à Hongkong. Je ne doute pas
qu'il ait été attentif à l'affaire
Monica Lewinsky...
N. O. Quand l'avez-vous
vu pour la dernière fois ?
M.
Ciment. C'était pour la
sortie de « Full Metal Jacket
», à Londres, en compagnie
de Michael Herr, l'auteur
du scénario mais aussi d'un
grand livre, « Putain de mort
». Michael Herr avait fait
la guerre du Vietnam et Kubrick
avait utilisé ses compétences
pour le film. J'ai rencontré
Kubrick chez lui le lendemain.
Il m'avait invité à déjeuner.
Je me souviens qu'il avait
fait venir un poulet à l'ail
de chez Marks & Spencer. Il
donnait peu d'interviews tout
simplement parce qu'il détestait
analyser ses films. Il parlait
très bien, mais il se méfiait
des mots qui figent la signification
d'un film. Il jugeait le langage
inapte à exprimer vraiment
ce qu'il avait dans la tête.
En vérité, c'était un homme
essentiellement visuel.
N.
O. On le décrit volontiers
comme un paranoïaque, un fou
de solitude, presque un malade.
Quel homme était-il vraiment
?
M.
Ciment. Il n'aurait pas
pu faire ses films s'il avait
été un malade. Pour autant,
il avait un sens surdimensionné
de la souffrance humaine.
Il voulait se protéger des
gens et de leur curiosité
malsaine. Il ne se donnait
pas en pâture à la société
médiatique. Il craignait qu'en
parlant de lui on se détourne
de son oeuvre. Si Kubrick
était un fou, c'était de travail.
Quand il commençait un film,
il faisait table rase de tout
le reste. Pendant deux ans,
pour « Barry Lyndon », il
a écouté toute la musique
du XVIIIe siècle et regardé
tous les tableaux français,
anglais et italiens de cette
époque. Il s'immergeait jusqu'à
se perdre dans le monde qu'il
voulait recréer. Il tendait
à la perfection. Il recherchait
la pierre philosophale, il
y avait un côté faustien en
lui. Il aurait même pu étudier
le Talmud... Il n'a réalisé
que treize films. Ce n'est
pas beaucoup, j'en conviens,
mais Leonard de Vinci n'a
pas fait beaucoup de tableaux
non plus. L'important est
d'en faire des bons.
N. O. Comment vivait-il
au quotidien ?
M. Ciment. Avec sa femme,
une artiste-peintre, et ses
deux filles. Son existence
était celle, tranquille, d'un
gentleman farmer, à 50 kilomètres
de Londres. Il dînait avec
ses collaborateurs et était
toujours disponible pour les
gens qui travaillaient avec
lui, mais il ne frayait pas
avec le monde extérieur.
N.
O. Comment pourriez-vous
définir le génie propre de
Kubrick ?
M.
Ciment. C'est d'avoir réussi
à être extraordinairement
présent dans chacun de ses
films tout en effaçant ses
traces. Il avait accompli
et incarné ce paradoxe : être
toujours différent et pourtant
toujours soi-même au moment
où l'art moderne exigeait
qu'on ait un style immédiatement
reconnaissable et qu'on s'y
tienne. Lui se renouvelait
sans cesse. Comme tous les
grands artistes, il avait
peur d'être identifié. L'autre
aspect de son génie est d'avoir
été à l'écoute de toutes les
angoisses du monde contemporain.
D'avoir su, parce qu'il était
lecteur de Freud et féru de
psychanalyse, donner à chaque
film des approches très différentes.
Il était à la fois obsessionnel,
avec son regard de laser et
complètement ouvert sur le
monde. Prenez « Barry Lyndon
» : c'est une cosmogonie,
une réduction de toute l'humanité
en trois heures, avec la mort,
la famille, l'ascension sociale,
la religion et la guerre.
N.
O. Comment expliquez-vous
qu'on puisse faire une oeuvre
si cohérente tout en visitant
des genres cinématographiques
aussi divers que le thriller,
le peplum, la SF ou la comédie
de moeurs ?
M. Ciment. C'est simple
: Kubrick était un cinéphile,
mais il ne voulait pas être
un auteur. S'il avait pu,
il aurait retiré sa signature.
Et puis, il regardait beaucoup
les films anciens. Dans chaque
genre, il avait l'ambition
folle de faire mieux que tous
ses prédécesseurs.
N. O. Comment tournait-il,
quels étaient ses rapports
avec la caméra, avec les comédiens
?
M. Ciment. Il a toujours
refusé la présence des journalistes
sur ses tournages. Mais on
sait qu'il tournait beaucoup
de plans. Il était passionné
par la caméra il a d'abord
été photographe. C'était lui,
en fait, le chef opérateur
de ses films. Il portait lui-même
la caméra lorsqu'elle était
mobile pour obtenir le cadre
et le mouvement exacts qu'il
désirait. Il aimait les comédiens,
il adorait Peter Sellers,
James Mason, Jack Nicholson,
et il acceptait volontiers
que le comédien lui suggère
des choses. Bref, ce n'était
pas le tyran qu'on dit...
N.
O. On lui a reproché de
manquer d'imagination parce
qu'il s'inspirait d'oeuvres
littéraires « Lolita » de
Nabokov, « l'Odyssée de l'espace
» de Clark, « l'Orange mécanique
» de Burgess, ou « Barry Lyndon
» de Thackeray...
M.
Ciment. Ses deux premiers
films étaient originaux, mais
à partir du troisième, tous
ses films, en effet, ont été
inspirés d'oeuvres littéraires.
Racine s'est inspiré lui aussi
d'oeuvres anciennes. On peut
être original tout en s'inspirant.
Mozart s'est inspiré d'oeuvres
préexistantes ou de livrets
écrits par d'autres. Dreyer,
Visconti aussi l'ont fait.
Alors, où est le problème
?
N. O. Y a-t-il des films
de lui que vous mettez au-dessus
des autres ?
M. Ciment. Oui, sans hésiter,
« 2001, l'Odyssée de l'espace
» et « Barry Lyndon ».
N. O. Que savez-vous de
son ultime film, « Eyes Wide
Shut » ?
M. Ciment. Je sais que c'est
une histoire de jalousie sexuelle.
Une histoire inspirée d'un
bref roman d'Arthur Schnitzler,
« Traum Novelle » (« Rien
qu'un rêve », disponible en
poche). Un homme et une femme
qui se racontent leurs rêves
et leurs expériences nocturnes.
Après « Orange mécanique »,
il m'en avait parlé, mais
il ne savait pas comment résoudre
la fin du scénario. On ne
pense pas tellement à Kubrick
comme peintre du couple, mais
quand on regarde « Lolita
», « Shining » ou « Barry
Lyndon », c'est d'amour dévoyé
et perverti qu'il s'agit.
Propos
recueillis par J.GARCIN (*)
« Kubrick », par Michel Ciment,
a paru en 1980 chez Calmann-Lévy.
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Stanley
KUBRICK parle de " 2001 ", extrait
d'un article de Joseph GELMIS,
paru dans NEWSDAY du 4 Juin 1968.
Chacun a sa théorie au sujet de
la signification de "2.001 : L'ODYSSEE
DE L'ESPACE". Comment Stanley
KUBRICK explique-t-il le rôle
de l'aventure dans son film ? |
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"C'est
là où vous entrez dans ce qu'on
pourrait appeler la zone fertile
de l'ambiguïté", déclare Stanley
KUBRICK. "Parce qu'il y a une
explication très simple et très
littérale au niveau le plus élémentaire
possible du scénario. Un objet
a été laissé sur terre par des
explorateurs extraterrestres,
il y a cinq millions d'années.
Un autre objet a été laissé sur
la Lune afin de pouvoir marquer
le premier pas trébuchant de l'homme
dans le cosmos. Un autre a été
placé sur l'orbite autour de Jupiter
pour servir de relais". Lorsqu'il
arrive sur Jupiter, l'astronaute
est jeté dans un champ de forces
qui l'entraîne dans une autre
dimension spatio-temporelle à
un autre endroit de la galaxie.
Il est mis dans ce qui est l'équivalent
d'un zoo humain pour y être étudié.
Sa vie se passe dans cette pièce
et cela ne lui semble durer qu'un
instant. Il se peut qu'il y passe
toute sa vie normale ou bien qu'elle
soit télescopée ou encore qu'elle
soit réduite à quelques minutes.
Il meurt et il renaît sous une
forme supérieure. Il revient sur
Terre comme ange ou comme surhomme,
ou du moins transfiguré. Au niveau
le plus simple, c'est ce qui "arrive".
Mais le fait que l'on n'utilise
pas de mots et que l'événement
ait vraiment des résonances lointaines,
est positif. A d'autres niveaux,
le film signifie tout ce que l'on
peut ressentir à son sujet. Je
ne pense pas devoir m'appesantir
au-delà de ce niveau élémentaire.
Bien entendu, toute impression
que vous pouvez ressentir à l'égard
du film est valable si elle ne
contient pas de contradiction.
S'il a de l'effet sur vos émotions
sur votre subconscient, sur vos
aspirations mythologiques, alors
il a réussi. Tout ce qui est au-delà
de l'entendement humain semble
magique. Il y a une tonalité religieuse
dans le film qui se retrouve dans
la quête par l'humanité d'une
rencontre avec un être supérieur.
Une fois que vous êtes lancé dans
des méditations, une fois que
vous vous dites, bon, l'univers
est probablement rempli de civilisations
évoluées, parce qu'il y a cent
milliards de galaxies dans l'univers
visible, certains de ces mots
doivent se situer à un niveau
que l'esprit humain ne peut concevoir.
Ces êtres auraient probablement
des pouvoirs incompréhensibles.
Ils pourraient être en communication
télépathique à travers l'univers
entier. Ils pourraient avoir la
capacité de façonner les événements
d'une façon qui nous semble divine.
Ils pourraient même représenter
une sorte de conscience immortelle
qui fasse partie de l'univers.
Quand vous commencez à vous intéresser
à ce genre de sujet, les implications
religieuses sont inévitables,
parce que tous ces caractères
sont ceux que l'on attribue à
Dieu. Ainsi voilà donc, si vous
le voulez, une définition de Dieu
parfaitement scientifique. |
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L'Express
du 11/03/1999 par Jean-Pierre
Dufreigne |
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Perfectionniste,
Stanley Kubrick prenait tout son
temps pour mûrir un film. Il dispose
désormais de l'éternité. No trespassing.
Cela ne signifie pas "Interdit de
trépasser", mais "Défense d'entrer".
Ce panneau figure dans un des premiers
plans de Citizen Kane. Et partout
sur les grilles et les haies de
quatre mètres autour de la maison
de Stanley Kubrick, un manoir du
Hertfordshire, à Saint Albans, à
une vingtaine de kilomètres au nord
de Londres. On lit aussi "Ne franchissez
pas cette porte", "Attention au
chien", "Personnes autorisées seulement",
"Surveillance électronique". On
peut se faire électrocuter ou ameuter
le Yard et les pompiers (sans trop
exagérer) en touchant simplement
la poignée de la porte d'une salle
de bains. Stanley Kubrick s'est
enfermé là il y a trente ans. Mais
aucun écriteau ne protège de rien,
et Stanley Kubrick a trépassé. Depuis
dimanche en fin d'après-midi, nous
avons perdu avec Kubrick quelque
chose d'irremplaçable, un motif
d'admiration. Ce siècle qui fut
un des égouts de l'humanité veut
se terminer en nous empêchant d'admirer.
Ce n'est pas un portrait de Stanley
Kubrick qu'il faudrait faire, mais
gueuler sa colère. Rien n'est meilleur
qu'admirer; admirer, c'est patienter,
s'émouvoir, comprendre, ressentir,
espérer. S'anoblir. Le siècle nous
laisse Bergman, reclus dans son
île de Farö, mais vient de nous
ôter Kubrick, enfermé en son manoir.
Savoir que ces gens-là existent
était réconfortant. Savoir que quelque
part en un lieu écarté un homme
d'honneur, un homme d'art jouit
de sa liberté. La liberté de Kubrick
vengeait Welles, l'abonné des hôtels,
le vagabond énorme, le génie mutilé
par les grands ciseaux des majors
et par l'argent. La liberté de Kubrick,
c'était le temps. Six films en trente-quatre
ans, trois en vingt-trois ans, deux
en dix-huit ans. Moyenne: un film
tous les neuf ans. Le dernier sorti
date de onze ans, Full Metal Jacket.
Le temps lui permit d'aborder tous
les genres, SF, guerre, péplum,
épouvante, histoire, dérision, film
noir. Manquait le western, et il
terminait, dit-on, le sexe, avec
Eyes Wide Shut (traduction littérale,
Les Yeux grands fermés). Il avait
reconstruit New York dans Pinewood,
viré ou plutôt exténué Harvey Keitel
et Jennifer Jason Leigh, remplacés
par Tom Cruise et Nicole Kidman,
en psy, échangistes, érotomanes.
Du on-dit. Dérapages de l'amour
par temps de chien, d'après La Nouvelle
rêvée, d'Arthur Schnitzler, ce romancier
autrichien, ce Freud de la fiction.
On attend de voir. Un producteur
de la Warner, Terry Semel, a pris
l'avion lundi matin pour contempler
l'affaire. Déjà il avait dû le prendre
pour lire le scénario. Car rien
ne sort du fortin Kubrick. Lui-même
n'en sort pas, ou si peu. Il communique
par fax, téléphone, Internet, satellite.
Et quand il sort, c'est en clochard,
grosse parka avec ou sans fourrure
au col, selon la saison, pantalon
informe, barbe en broussaille, grisonnée
ces derniers temps (il avait quand
même 70 ans), yeux toujours aussi
proéminents, le regard d'Alex dans
Orange mécanique. Moins les faux
cils. Ce regard qui voit le bien
et le mal et veut la perfection.
Vouloir la perfection, c'est être
soit mégalo soit parano, selon les
dernières lois en vigueur. Ce n'est
surtout qu'être artiste. Essayer
de percer l'apparence et de transmettre
ce qu'on a cru trouver. Etre perfectionniste,
c'est aller au-delà du doute. Nous
admirions Kubrick parce que l'on
doutait de ce que l'on voyait. Devant
Barry Lyndon, on se savait au-delà
du cinéma et du siècle des Lumières.
Devant Shining, au-delà de la terreur;
devant Les Sentiers de la gloire,
ailleurs que dans la mutinerie et
l'héroïsme vain mais accepté, cette
gifle à la connerie. D'ailleurs,
en toute fin, il faisait chanter
devant les poilus une jeune Allemande.
La grâce parmi des trognes de boue.
Cette jeune Allemande était sa femme,
Christiane, qui lui donnera trois
filles, Catherine, Anya, Viviane.
Les Sentiers de la gloire étaient
donc autre chose qu'un film de guerre.
Un élan. Kubrick offrait son amour
au spectateur et aux survivants.
2001 fut plus qu'une Odyssée de
l'espace: un secret révélé dans
un mystère tout noir et de la géométrie.
Lolita était intournable. Pourtant
même l'irascible et pointilleux
et génial Nabokov applaudit. Full
Metal Jacket n'avait rien à voir
avec le Vietnam (reconstitué dans
l'île aux Chiens, sur la Tamise)
mais montrait des jeunes gens brimés,
engueulés, décervelés, entraînés,
comme on dit, pour au final réussir
à tuer une femme. Jolie. Il nous
voyait ainsi, fous et malades, nourris
à la petite cuillère (scène du ministre
tory aidant Alex à manger sa purée
dans Orange mécanique), gavés de
niaiseries sur nos lits d'hôpital.
Pour peindre l'homme, Kubrick choisissait
les mécaniques, les ordinateurs
à lobotomiser, les machineries,
les grues, et toujours la géométrie
d'un hôtel pour fantômes, d'un labyrinthe
(Shining), d'une armée en ordre
de bataille ou d'une beauté dans
sa baignoire (Barry Lyndon). Un
goût mathématique venu des échecs,
appris dans le Bronx à 12 ans, avec
son père. Sur un vieux jeu, rescapé
des exils familiaux. Quand on joue
aux échecs, on n'a pas besoin d'autres
jouets. On y apprend qu'un pion
renverse le roi et qu'un fou franchit
toutes les diagonales. Stanley adolescent
aime le jazz et la physique. Hésite
entre les deux voies et obtient
une vieille boîte noire pour ses
13 ans, un appareil photo Grafex.
Quatre ans plus tard, il rapportera
les 25 premiers dollars à Stanley,
une photo de rue, d'un kiosque à
journaux où les gros titres annoncent
la mort de Roosevelt. Il ne les
gagne pas n'importe où, mais à Look,
le journal de l'image. Il continuera. |
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KUBRICK
N'A PAS ATTENDU 2001 par Gérard
Lefort ET Didier Péron
Le lundi 8 mars 1999 |
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Stanley
Kubrick ne fut jamais là où on l'attendait.
Il était né à New York en 1928 dans
le quartier du Bronx au sein d'une
famille d'émigrés d'Europe centrale
(Roumains, Hongrois, Autrichiens)
qui se coulent benoîtement dans
le melting-pot américain. Son père,
Jack, radiologue, tente de diriger
son fils vers des études solides.
Mais le jeune Stanley s'avérant
plus que récalcitrant à l'école,
il est inscrit, pour l'éveiller,
à un cours d'échecs où, par contre,
il va vite se révéler un champion.
Reporter photo. Kubrick a alors
12 ans et, un an plus tard, son
père lui offre un appareil photographique
pour son anniversaire. Le "déclic"
semble être crucial. Sur le chemin
de son école, le jeune Stanley photographie
des scènes de la vie quotidienne
new-yorkaise. En avril 1945, le
jour de la mort du président Roosevelt,
il fixe le visage désemparé d'un
marchand de journaux, cliché qu'il
vend au magazine Look. Dès lors,
Kubrick devient reporter à plein
temps pour Look, qui lui confie
la spécialité des images "singulières".
Mais déjà, l'instantané ne lui suffit
plus. Avec un ami, Alexander Singer,
il se lance en 1950 et 1951 dans
deux courts métrages documentaires,
le premier, Day of the Fight, consacré
au boxeur Walter Cartier, le deuxième,
Flying Padre, consacré à un prêtre
mexicain qui se déplaçait en avion
pour prêcher. Le démon du cinéma
est en lui. Financé en partie par
ses gains dans un concours d'échecs,
en 1953, il tourne en Californie
Fear and Desire, récit d'une guerre
saignante dans un pays imaginaire.
Le film lui coûtera sa première
épouse, Toba Metz, qui demande le
divorce pour absences répétées,
et les louanges de quelques critiques,
qui repèrent son talent de metteur
en scène. Financé par un dentiste
du Bronx, il enchaîne en 1954 avec
le Baiser du tueur, suspense tourné
live dans les rues de Manhattan.
Le film a coûté 40 000 dollars et
c'est surtout cette performance
financière qui attire l'attention
d'Hollywood et singulièrement des
Artistes associés qui, en 1958,
pour 200 000 dollars, financent
l'Ultime Razzia (The Killing), son
troisième long métrage en noir et
blanc. Kubrick a 28 ans, il est
subitement célèbre et va s'attirer
la complicité, sinon l'amitié, d'un
fameux acteur "de gauche". Kirk
Douglas va en effet devenir le partenaire
de Kubrick pour deux films magistraux:
d'une part en 1957, les Sentiers
de la gloire, sensationnelle évocation
des poilus fusillés pour l'exemple
en 1917 (interdit en France jusqu'au
milieu des années 70); d'autre part
en 1960, Spartacus, film péplum
qui évoquait l'épopée d'une révolte
d'esclaves à l'époque de l'Empire
romain d'après un scénario du "blacklisté"
Dalton Trumbo. Bien que Kubrick,
de son aveu, n'ait pas eu le contrôle
final du film, Kirk Douglas, coproducteur,
ayant trafiqué le montage, il peaufine
de plus en plus son système. C'est-à-dire
la maîtrise absolue de tout: argent,
scénario et, surtout, postproduction
(montage, mixage), jusqu'à la qualité
des salles de cinéma où était diffusé
son film. Autant d'exigences hautaines
qui, dans l'Hollywood du début des
années 60, passent pour, au mieux,
une folie ou un caprice. Fascination
des machines. Toujours à la recherche
d'une plus grand indépendance, Kubrick
s'est déjà expatrié en Grande-Bretagne.
En 1962, il entreprend l'adaptation
du roman "scandaleux" de Nabokov,
Lolita. C'est peut-être le premier
film strictement kubrickien: le
récit est traité par blocs dissipés
entre lesquels, sortes de trous
d'air, circulent des personnages
non psychologiques, genres de poupées
mécaniques et grimaçantes qui anticipent
la fascination de Kubrick pour les
machines détraquées qui fera florès
dans le fameux 2001. C'est aussi
la première fois qu'il extirpe de
ses acteurs une puissance dérangée
et dérangeante: bien sûr la jeune
Sue Lyon (Lolita), nymphette for
ever, mais aussi, et surtout, James
Mason (Humbert Humbert), monstre
d'autant plus torturé qu'il n'exprime
pratiquement rien. En 1963, la réalisation
de Docteur Folamour semble faire
monter la pression d'un cran. En
pleine guerre froide, Kubrick raconte
ni plus ni moins que le début de
la Troisième Guerre mondiale, sous
la forme d'une farce internationale
qui voit s'affronter toute une théorie
de politiques nases, de généraux
gâteux et de stratèges siphonnés.
Comme Peter Sellers incarne une
bonne partie des rôles, Docteur
Folamour va singulièrement effarer
aussi bien les fans de Kubrick que
ceux qui, à l'occasion de ce succès
énorme, vont le découvrir. Dans
la foulée de sa renommée, Kubrick
se lance alors dans le projet qui
va définitivement le consacrer:
2001: l'Odyssée de l'espace. Cinq
ans vont s'écouler entre l'annonce
de cette adaptation d'un roman fameux
de Arthur C. Clarke et sa sortie
sur les écrans en 1968. Certes,
cette durée exceptionnelle est justifiée
par l'ampleur technologique du projet
mais, plus probablement, par l'ampleur
mégalomane du film qui entend, en
toute simplicité, raconter et résoudre
toute l'histoire de l'humanité.
Combien d'heures de cours de philo
de terminale furent alors consacrées
à l'énigme du monolithe trans-temporel:
"Pour moi, c'est Dieu. Pour moi,
c'est le néant. " C'est aussi le
film qui a tatoué toute une génération
de cinéastes américains, de James
Cameron à George Lucas. C'est enfin
le premier opus où la musique (de
Strauss à Ligeti) est un personnage
à part entière. Surprise. Avec une
célérité peu commune (trois ans
à peine), en 1971, un autre trauma
météorite tombe de la galaxie Kubrick:
Orange mécanique, film de l'ultraviolence
urbaine dans un futur plus que proche.
Là encore, le débat va faire rage,
sur le thème du film "qui donne
le mauvais exemple". En tout cas,
comme d'habitude, impossible d'anticiper
sur les visions d'un visionnaire,
puisque, en 1975, à la surprise
vraiment générale, Kubrick adapte
un roman anglais du XVIIIe, Barry
Lyndon, de Thackeray. Le film déconcerte.
Sans doute en raison de son casting
surréaliste: Ryan O'Neal, endive
vedette de Love Story, et Marisa
Berenson, petite-fille de la couturière
Elsa Schiaparelli. Mais c'est surtout
l'usage quasi ininterrompu d'une
narration en voix off qui fait le
plus d'effet puisqu'elle passe son
temps à raconter ce que les images
sont en train de montrer. Si on
ajoute la performance technique
des scènes tournées à la seule lumière
des bougies, on finirait presque
par oublier que Barry Lyndon est
une nouvelle fois un film majeur
sur la bestialité humaine. Ce que
prouvera amplement en 1980 la sortie
événement de Shining. A nouveau
prouesse technique (c'est la première
fois que l'on fait usage continu
de la caméra steadycam) et démonstration
de lucidité sur la question de la
terreur humaine, trop humaine. Avec
son monumental hôtel hanté, construit
sur un cimetière indien, et son
labyrinthe congelé, Shining, très
inspiré par les écrits de Bruno
Bettelheim, raconte une assez banale
histoire de famille qui tourne au
massacre de tous les archétypes
et figures de la psyché occidentale.
Un vrai cauchemar qui marqua à la
fois le sommet et le point de non-retour
de la carrière de Jack Nicholson.
Film-cerveau. Après une telle apothéose,
la question du "mais qu'est-ce qu'il
va bien pouvoir faire après?" était
de nouveau à son comble. Il faudra
patienter huit ans, jusqu'en 1987.
Remisant son autre film de guerre
sur l'épopée napoléonienne, Kubrick
s'attaque à un sujet qui semblait
la chasse très jalousement gardée
du seul cinéma hollywoodien: la
guerre du Viêt-nam, qu'il va reconstituer
dans la banlieue de Londres pour
tourner Full Metal Jacket, son véritable
dernier film (rien n'indique pour
l'heure que Eyes Wide Shut soit
véritablement fini, lire ci-dessous),
qui donnait une version particulièrement
sèche et brutale de sa conception
du monde. Film en deux parties,
où la communication est réduite
aux vociférations d'un sergent instructeur,
aux explosions du napalm ou à la
petite musique finale du Mickey
Mouse Club. Full Metal Jacket est
le summum du film-cerveau. Un cerveau
dont les deux hémisphères ne seraient
pas irrigués par le même sang et
dont chacun donnerait à l'organisme
des ordres et des idées contradictoires.
Un cerveau qui s'épuise à comprendre
et à maîtriser toutes les situations
et qui ne parvient en fait qu'à
se vider, comme Hal, le cerveau
électronique de 2001. Cette hantise
du retour à la case zéro, Kubrick
l'avait projetée dans ce qu'il devait
concevoir comme un film-testament,
très clairement intitulé A.I. (Artificial
Intelligence), un film sans acteurs
(ou presque) qui aurait vu le combat
à mort entre plusieurs ordinateurs.
La fin du cinéma?. Deux passe-temps,
échecs et photo, qui coupent du
monde (un champ clos de 64 cases
d'un côté et le tirage en chambre
noire de l'autre), et toujours cette
passion pour la physique qui en
dévoile les mystères. Dans les parcs,
il "pousse le bois" avec de futurs
Nobel, maîtres en électrons et théorie
des quanta. Coup de pouce, de chance,
la RKO le reçoit, puis James B.
Harris, et naît Le Baiser du tueur,
film noir qui n'a pas une bobine
de débutant (la séquence hallucinée
parmi les mannequins d'un magasin
a été pillée dans maints films et
téléfilms). Coup de génie du hasard
encore, cette fâcherie entre Kirk
Douglas et Anthony Mann. Kirk vire
Tony de Spartacus et prend Stanley.
Kubrick est jeune et poupin, 32
ans. Un Welles élégant. Après il
n'y a plus qu'à suivre le mouvement.
C'est-à-dire, pour Kubrick, le ralentir.
Lire énormément, écouter toute la
musique. Etre maître de tout. Sur
le plateau de Shining, Scatman Crothers
(qui tient le rôle du cuisinier
black) entonne sur un air de scat,
cet ancêtre jazzy du rap: "Il y
a un gars, il habite Londres/Il
fait du cinéma, est connu de tout
le monde/Ça oui, il a vraiment un
grand renom/Stanley Kubrick est
son nom/C'est un gars qui prévoit
tout de très loin/Pour vous faire
croire qu'il a ressuscité les défunts/Il
fait lui-même son montage/C'est
un génie pour les trucages/C'est
lui qui fait tout, qui fait tout/Je
vous le dis, Stanley, c'est lui
qui fait tout." Alors, dans ce cas,
Stanley Kubrick ne sait pas qu'il
est mort. Nous ne lui dirons pas.
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Discours
de réception du prix D.W
GRIFFITH* |
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Bonsoir!
Je regrette de ne pas pouvoir
être parmis vous pour recevoir
le prix D.W Griffith qui me fait
tellement d'honneur, mais je suis
à Londres en train de tourner
Eyes Wide Shut avec Tom Cruise
et Nicoles Kidman et il est probable
que je me trouve à cette heure
précise dans ma voiture en route
pour le studio. Or cela, me rappelle
une conversation que j'ai eue
avec Steven Spielberg sur ce qui
était la chose la plus difficile,
ce qui représentait le plus grand
défi lorsqu'il s'agit de réaliser
un film. Et je crois que Steven
a trouvé un réponse tout à fait
juste. Il a dit que l'épreuve
la plus dure d'un trounage était
le moment où l'on descendait de
sa voiture. Je suis sûr que vous
êtes tous passé par là. Cependant,
ceux qui ont eu le privilège de
tourner un film savent bien, même
si l'expérience peut se comparer
à une tentative d'écrire Guerre
et paix dans une auto-tamponneuse
au milieu d'un parc d'attractions,
que la convition d'avoir enfin
réussi est une joie procurée par
peu d'autres choses dans la vie.
A mon avis, le fait d'avoir donné
à cette récompense pour l'oeuvre
de toute une vie le nom de D.W
Griffith s'accompagne d'une curieuse
ironie. Car sa carrière fut à
la fois une création inspirée
et un récit riche d'enseignement.
Ses meilleurs films ont toujours
été classés parmi les plus importants
jamais réalisés. Certains lui
ont rapporté beaucoup d'argent.
Il a largement contribué à faire
d'une nouveauté populaire une
véritable forme d'art. C'est lui
qui a inventé et développé une
partie considérable de la syntaxe
filmique qui maintenant nous paraît
aller de soi. Il a acquis une
renommée internationale et on
comptait parmi ses mécènes de
nombreux grands artistes et hommes
d'état de son époque. Mais, aussi
bien dans le domaine des affaires
qu'en ce qui concernait ses projets
cinématographiques, Griffith n'hésitait
pas à prendre des risques énomes.
Il était toujours prêt à voler
trop haut. A la fin donc, les
ailes de la fortune se sont avérées
pour lui, comme pour Icare, peu
substantielles, n'étant faites
que de plumes et de cires. A l'instar
de celle d'Icare, en s'aventurant
trop près du soleil, elles ont
fondu. Et l'homme dont la gloire
dépassait celle des plus illustres
cinéastes d'aujourd'hui a passé
les dernières 17 années de sa
vie frappé d'ostracisme par l'industrie
qu'il avait lui-même crée. J'ai
comparé la carrière de Griffith
au mythe d'Icare, mais en même
temps je n'ai jamais été tout
à fait sûr de la morale de l'histoire
d'Icare. Faut-il comprendre, comme
on le fait communément, "ne volez
pas trop haut" ? Ou doit-on plutôt
interpréter comme ceci : " Oubliez
les plumes et la cire : "essayez
de perfectionner les ailes". Néanmoins,
une chose est certaine ; D.W Griffith
nous a légué une oeuvre passionnante.
Le prix qui porte son nom est
un des plus grands honneurs qu'un
cinéaste puisse recevoir. Je vous
en remercie tous, humblement,
chaleureusement.* Discours de
réception du prix D.W Griffith
décerné par la directors'Guild
et enregistré en vidéo par stanley
Kubrick ; traduit de l'anglais
par Eithne O'Neill - Positif n°464,
Octobre 1999. |
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